Décidément, personne ne la comprenait, sauf peut-être son "petit" et Zeus, son matou angora aux poils aussi élégants que ceux de son regretté mari.
"Je pétris, mon petit ! Mais il en reste d'hier sur la table du salon", répond Mamie au petit homme.
"Je n'aurais jamais cru qu'un môme de 7 ans soit aussi accro à mon pain !", se dit-elle, en malaxant soigneusement son pâton.
Azalée Descart de la Louche (c'est le nom compliqué de Mamie) fait son pain au levain depuis 8 ans, depuis que Guillaume, son tendre époux aux poils soyeux, s'en est allé au pays des Lumières. C'est comme cela qu'elle dit quand son "petit" lui demande "Il est où papi Guirlande ?". Guillaume, on l'appelait Papi Guirlande parce qu'il avait plein de décorations de guerre accrochées à son veston noir.
Alors depuis 8 ans, Mamie fait son pain, pétrit deux fois par semaine : ça lui rappelle papi Guirlande, quand elle lui faisait des massages à l'huile de noix.
Son surnom à elle, c'est Mamie Levain. Va savoir pourquoi...
“Mamie ! Tu as fait du pain ?". Le petit bonhomme haut comme un sac de farine n'a pas oublié l'heure du goûter. Il trépigne comme un poisson rouge sans sa ration. "Mamie ! Mamie !".
Mamie ne répond pas. Elle est dans le pétrin en bas dans sa cuisine. Il ne fait pas beau dehors. Le monde ne tourne pas rond. Mais tout cela ne la perturbe pas, Mamie.
Petite femme octogénaire issue d'une famille aristocratique sans le sou mais blindée de principes moraux, Mamie a tous les attraits d'une femme fatalement entraînée par sa propre destinée. Et tant mieux, parce que Mamie en avait ras la casquette de golf (Mamie a longtemps fait du golf dans son enfance, chez l'oncle André) : marre d'entendre les idées pré-moulées de son polluant entourage familial.
"Tu perds ton temps, Azalée (c'est le prénom de Mamie), achète une machine à pain !", entendait-elle. "Les baguettes chez Champion, c'est pas cher et c'est bon !", "Retrouve-toi un mari sur Meetic !".